Berclaz de Sierre vit à CH-Sierre et travaille ici et ailleurs.

Expositions personnelles
2016 – Snack Max, Fondation Louis Moret, Martigny
2016 – Qui a mangé Johnny Deep?  Mayen, Comogne
2013 – Triplex, La Ferme-Asile, Sion, Suisse
2004 – Fac-similé, FAC, Forum d’art contemporain, Sierre
2003 – Les Equivoques Bonjour, Centre d’art contemporain, Genève
1991 – Carte Blanche, Salle Patino, Genève
1990 – Rien n’aura eu lieu que le lieu, Centre d’art contemporain, Ivry sur Seine, France

Expositions collectives (sélection)
2015 – L’heure qu’il est, Centre d’art contemporain, Yverdon-les-Bains
2014 – Parole d’Objet, Fondation Louis Moret, Martigny, Suisse
2013 – Lovin’it, Bromer Art Collection, Roggwil-Kaltenherberg
2012 – Nuit des Images – carte blanche du Musée de l’Elysée, Lausanne
2011 – 12 – Incongru. Quand l’art fait rire, Musée cantonal es Beaux-Arts, Lausanne
2002 – Bex & Arts, Triennale de sculpture contemporaine suisse, Bex, Suisse

Snack Max
PAROLE D'OBJET
Snack Max

Berclaz de Sierre est né sous son nom d’artiste en 1986. En 2014, il participe ici à l’exposition Parole d’Objet, une réflexion autour de l’usage des mots dans la pratique artistique. Dans les collections du Musée d’art à Sion, on peut voir les Equivoques, des portraits photographiques en pied de quidam dont la seule particularité est de porter des patronymes célèbres du monde de l’art, Leonardo da Vinci, Alberto Giacometti ou Paul Klee. Pris à la lettre de leurs noms, ces personnages justifient une place au musée. En 2012 il participe à Incongru-Quand l’art fait rire au Musée cantonal de Lausanne, puis présente Triplex à la Ferme_Asile de Sion en 2013. Cet été à Comogne, Berclaz de Sierre lance le projet Qui a mangé Johnny Deep ? L’histoire décryptée du taureau étalon Johnny Deep, qui devient l’archétype de l’animal d’élevage industriel.

L’ installation Snack Max, qui donne son titre à l’exposition, s’inscrit dans cette veine où la question du rapport à l’animal et la violence qu’il véhicule se donnent à voir sous des aspects ambigus. L’enfance y est mêlée de près.
Ici on a composé le décor d’un élégant magasin, les murs rose pâle sont rythmés par des colonnes dorées, un banc est posé au centre. Vu de près, le décor se révèle moins doux, les murs sont en réalité couverts de feuilles de papier ciré pour emballer la viande et les colonnes sont des collages sur fond d’or et de papier calque où le rôti, l’épaule, le cœur ou le hachis, détournés des images promotionnelles du rayons boucherie du supermarché, crus le plus souvent, testent leur beauté primitive. En exposition dans cet étrange magasin, une soixantaine de petites paires de chaussures d’enfants, peintes de motifs très variés et disposées sur des étagères basses, constituent la marchandise. En peaux séchées, ces jolis petits souliers sont en réalité… des friandises à l’usage des chiens, destinées à satisfaire leur désir naturel de mastication. Ce sont des Snack pour Max.

Berclaz de Sierre, avec son esprit vif et lucide, relève dans la forme paradoxale de cet objet – un soulier d’enfant offert aux dents du chien – comme une blague cruelle qui révèlerait avec violence la vulnérabilité des petits. Les dents du loup s’approchent dangereusement. Dans un geste de réparation, il tente de fait diversion en transformant cet involontaire appel au crime en support pour des notations picturales colorées. Des thèmes d’actualité, des choses vues, des gags mélancoliques et des références à l’air du temps, une chronique de la vie ordinaire qui se décline dans tous les registres, du drôle au plus grave, est peinte sur les petits souliers, dans le simple désir de restituer à l’enfant l’objet dévié. Et d’atténuer le cynisme, au sens premier du mot, de cet objet absurde .

Utilisant le réel au pied de la lettre, Berclaz de Sierre a imaginé une installation autour de la présence incontournable du piano de la Fondation. Des laisses et des harnais attachées au pied de l’instrument gisent au sol, comme si les chiens et les enfants qu’ils retenaient s’étaient libérés. Cela résonne comme une joyeuse échappée belle ou comme l’image silencieuse et plus sombre de la soumission, selon nos propres projections. L’installation s’appelle La voix de son maître, du nom d’une célèbre marque de gramophones dont la mascotte est un fox terrier.

Joyeux et soumis tout ensemble, ce sont les chiens de la série Agility, entrainés à sauter à travers des pneus ou des cerceaux.  Silhouettes découpées en plein bond, ces boules d’énergie absentes de l’image figent les accessoires du décor restant, le plombe. Le travail de collages, découpages et assemblages constituent une part importante et riche, mais trop peu montrée, de l’œuvre de Berclaz de Sierre.

Les enfants se font des cabanes de trois fois rien. Ici, ce sont des petits vêtements suspendus à des barres qui figurent la maison. Mais à bien y regarder, cette improbable édifice de tissu colle au plus près du réel. Car sur chaque petit manteau, on peut lire l’étiquette commerciale d’origine où figure le nom véridique des modèles, Mur, Porte, Fenêtre, Sol et Plafond, qui justifie leur mise en scène, chacun à sa place. Berclaz de Sierre confronte une fois encore l’objet, ici un vêtement pour enfant, à sa désignation. Il questionne l’autorité des mots. Car si les adultes nomment cela Sol et Plafond, on peut les croire…

Autour de la maison sont disposés des Arbres, certains sont épais, tout tordus sous la pression de leur corps mou, d’autres sont frêles et inconsistants. Ce sont des pyjamas d’enfants en 8 tailles différentes, et le modèle s’appelle Arbre. Avec ce sens de la littéralité, cette façon détachée et faussement naïve de ne faire qu’appliquer le sens des mots, Berclaz de Sierre pousse jusqu’au bout la logique, donnant corps et âges à ces Arbres formés par toutes les tailles de pyjama enfilées les unes dans les autres. Une coupe transversale et nous aurions des cercles de croissance, de 0 à 23 mois.

L’univers ultra lucide de Berclaz de Sierre prend le réel à la lettre et le presse de répondre. Toujours revenir à la source. A l’animal avant la viande, au petit soulier avant la friandise, aux premiers pas de l’enfant, au premier sens des mots, nettoyer les filtres du regard et retrouver un peu la clarté de l’innocence perdue.

Marie-Fabienne Aymon

PAROLE D'OBJET

Le monde fait du bruit, la rumeur enfle, le brouhaha est immense et dans l’espace saturé on ne peut démêler les mots essentiels des mots de trop, les mots de peu des mots rares. Lorsque les artistes plasticiens s’intéressent au langage, ils l’utilisent rarement sous une forme bavarde. Au contraire, la matérialité même de leurs pratiques – peinture, sculpture, installation, photographie – implique que la parole qu’ils s’approprient et qu’ils questionnent soit réduite à l’essentiel de son efficacité.

S’arrêter sur le rapport qu’entretiennent des plasticiens au langage, voilà ce que se propose de faire Parole d’Objet, première des cinq expositions de la saison 2014, qui réunit ici cinq artistes: Berclaz de Sierre qui vit et travaille en Valais à Sierre, ville qui lui a récemment offert son prix d’honneur, Andrea Wolfensberger qui expose actuellement à la galerie Gisèle Linder à Bâle jusqu’au 22 mars, Eva T.Bony qui vit et travaille à Paris où elle est arrivée de Grèce depuis plus de 20 ans. Ils se joignent à Gilles Porret dont nous préparons la deuxième exposition personnelle ici en septembre, qui enseigne à l’ECAV à Sierre, et qui expose actuellement à la galerie TMproject à Genève, et Mariapia Borgnini, qui revient ici pour la quatrième fois, après l’exposition que le Musée cantonal de Lugano lui a consacré en 2013.

Le langage de peintre de Mariapia Borgnini s’articule autour des mots et des sonorités, des signes et des sens. Des mots jumeaux quand on les prononce et qui se séparent quand on les lit, des homophones dont les orthographes induisent des glissements de sens et de nouvelles images mentales, des mots-peinture. C’est ici que Mariapia Borgnini place son poste d’observation d’artiste et de femme. Je est un Jeu, Toi, Soi, Il en sont autant d’autres. L’introspection et l’analyse sont pour elle des outils utiles autant à sa recherche artistique qu’aux expériences qu’elle conduit en tant que psychologue avec des adolescents étrangers en phase d’intégration, au cours de workshop de « photolangage », la méthode qu’elle a crée et à propos de laquelle elle a publié plusieurs ouvrages. La peinture est un langage et le langage a besoin du souffle – Respiro – l’artiste peint des mots qui scandent la respiration nécessaire pour peindre des mots… Les peintures de Mariapia Borgnini sont presque silencieuses, ou du moins font elles le silence autour d’un mot qui résonne alors étrangement. Comme ces quatre petites lettres peintes à la feuille d’argent aux bords d’un tableau blanc: les quatre points cardinaux qui, déroulés depuis le sud, se lisent S E N O, (seno, sein en italien) quatre directions pour un monde rond comme un sein féminin.

Dans le monde de Berclaz de Sierre, les objets, les gens, les choses qui le constituent existent au moins autant pour ce qu’ils sont que par le nom qui les désigne : un label, une étiquette, un énoncé ou un nom propre, qu’il prend véritablement « au pied de la lettre ». Ainsi fonctionne la série Les Équivoques de la collection du Musée d’art de Sion, de grands portraits photographiques qui consacrent et font entrer au musée des citoyens lambda dont la seule gloire est de porter les patronymes de Léonard de Vinci, Paul Klee et Alberto Giacometti entre autres. Les noms ont donc le pouvoir de convoquer les fantômes, même parmi les objets; on en a vu la belle démonstration à la Ferme-Asile lors de l’exposition Triplex en 2013.En voici une illustration drôle et ironique avec cette photographie un peu impertinente, Michelangelo intimo, du nom d’une marque de sous-vêtements pour homme, qui confronte la portée imaginaire du nom à la trivialité de l’image. Car Berclaz de Sierre travaille dans l’écart qui se creuse entre ce qu’on entend – la littéralité des mots – et ce qu’on voit, la réalité de ce qu’ils désignent. Ces confrontations révèlent parfois une dimension troublante et mélancolique, comme les étiquettes de ces cols de polos usés qui portent des noms à faire naître des révolutions, Happy Life, Yes we can et Liberty, mais se présentent plutôt comme les dépouilles des promesses qu’elles n’ont peut-être pas su tenir… Enfin, en détourant les slogans de base de la pub commerciale, Berclaz de Sierre les détourne ironiquement à son profit dans la parodie de sa propre promotion ; ainsi, si vous-même êtes « connaisseur » ou « pas compliqué », peut-être vous sentirez-vous concerné par l’acquisition d’une oeuvre d’art qui cache pour mieux montrer, à la façon des vitrines badigeonnées, dans un geste très « pictural ».

C’est en recouvrant des livres de plusieurs couches de peinture noire que Gilles Porret leur ôte à la fois leur fonctionnalité – on ne peut plus les ouvrir – et leur identité – on n’en connait ni l’auteur ni le titre. Ce faisant, il fait basculer l’objet connu en une masse abstraite et sculpturale, sorte de stèle qui, tout en référant encore au livre qu’il fut, acquiert au passage d’autres connotations, plus rattachées au champ des arts plastiques en général et à l’univers de Gilles Porret en particulier. A commencer par le titre qui établit un rapport de complicité entre l’objet et sa définition, propre à toutes les oeuvres de l’artiste. Ici « Des couleurs et des (h)auteurs », entendez « des hauteurs et des auteurs » qui décrit assez malicieusement la réalité de ces deux installations : dressés sur deux plateaux, des livres de taille, d’épaisseurs et de hauteurs variables qui, en lieu et place d’un nom d’auteur et d’un titre, annoncent… la couleur ! Rouge, bleu, vert, gris, orange forment des lettres difficilement lisibles tant elles sont étirées, qui toutes énoncent un son court, genre Taratata, Bang, Splash et autre Paf empruntés aux onomatopées sonores des bulles de bandes-dessinées (dont Gilles Porret est grand connaisseur). On pourrait presque parler d’une transformation de genre, le contenu du livre devenu muet et sa surface donnant « un son à voir ». Aplats de couleurs vives, auto-collants pop, jeu de mots et glissements de sens, perméabilité des registres et efficacité visuelle, voilà le style de Gilles Porret à qui l’on doit aussi le joli titre de cette exposition : Parole d’Objet.

Les livres d’Eva T.Bony sont eux aussi impossibles à feuilleter mais là s’arrête la comparaison. C’est en position ouverte que l’artiste les fige entre deux épaisses plaques de caoutchouc noir, son matériau de prédilection. Et c’est dans cette matière qu’elle taille des fenêtres pour réécrire son propre récit. A partir de textes choisis dans des livres anciens dont on ignore les auteurs et les contenus mais pas les dates, Eva T.Bony tente de saisir le fil d’un discours dans lequel elle pourrait se reconnaitre. Elle convoque ainsi la bonne fortune de ceux qui, pratiquant une langue qui n’est à l’origine pas la leur, en tirent parfois, à leur corps défendant, des formules magnifiquement transgressives parce que non enracinées dans l’histoire de la langue, française en l’occurrence. Beckett et Ionesco étaient les maîtres de cette liberté. Ainsi, les fragments de phrases qu’Eva T.Bony décontexte ici deviennent un nouveau récit, un peu heurté, un peu étrange, dont le mystère, la poésie ou la force résonnent pour chacun de nous de manière aussi inédite qu’à l’oreille d’un étranger s’habituant à une langue nouvelle. Ces livres de quelques mots sont maintenant figés dans une forme hors du temps, hybrides intermédiaires entre tablette antique et tablette numérique. Les Livres-objets, volumineux, se rabattent et se déplient pour délivrer leur message, à l’exception de l’Encyclopedia Universalis close sur ses signets d’époque. Au langage des mots Eva T.Bony ajoute celui des nombres. Les nombres premiers qu’elle a inscrits à la chaux dans une installation éphémère au jardin, PROTOS SUITE– ici de 563 à 659 – sont la continuité d’un projet au long cours parti de l’île d’Andros en 2013 et qui s’énumère partout où il peut. Il fera l’objet d’une publication documentée dans trois ans, histoire d’inscrire les repères, dans l’espace et le temps, d’un fragment de sa vie face à l’infini des nombres premiers. Et l’on peut aussi marcher sur les rêves d’Eva..

Les deux belles et tournoyantes sculptures d’Andrea Wolfensberger constituent le point de départ de sa recherche sur la plasticité des mots entamée en 2009 et dont les développements les plus récents sont à voir jusqu’au 22 mars à la galerie Gisèle Linder à Bâle. Ces formes monumentales matérialisent en réalité un fragment, une demie seconde de son, dont l’onde graphique est rendue en trois dimensions. Plus qu’à la musique, Andrea Wolfensberger s’intéresse aux mots, aux textes, au souffle. Ici, un titre extrait d’un poème de Beckett (qui dit « En face – le pire – Jusqu’à ce qu’il fasse rire «) désigne une sculpture qui donne forme au son du rire de son fils. Et en face, un mot, « frau », extrait d’un poème de Barbara Koehler. En travaillant le son, qui est un matériau immatériel quoique physique, Andrea Wolfensberger rend visible la forme de son expansion dans l’espace. Et l’on voit apparaitre les formes que nous produisons sans cesse, qui ondulent, se modulent et tournoient. Et lorsque les mots se croisent, surtout s’ils sont opposés comme Yes et No ou Mine et Yours, ils forment des vagues qui soulèvent le plan, ils décrivent les remous des forces en mouvement, leurs inflexions. Cette matérialité restituée aux ondes dont la représentation est plus traditionnellement graphique va de pair avec son expansion dans l’espace, jusqu’à la monumentalité pour certaines pièces vues récemment à Zurich. Son intérêt pour la poésie sonore de l’avant-garde dada du début du XXè siècle – quelques éternuements de Kurt Schwitters par exemple transformés en un gigantesque torrent ondulatoire – relie cette recherche au champ de l’oralité bien plus surement qu’à celui de la musique.

Marie-Fabienne Aymon