Vernissage le samedi 25 octobre à 17:00 en présence de l’artiste.
Cet automne, l’art abstrait et évocateur d’Ariane Monod s’invite, pour la première fois, à la Fondation Louis Moret au travers d’une sélection d’œuvres récentes et d’un vaste dessin mural. Sa force lyrique nous convie à une exposition à la fois immersive et introspective.
«Montagnes et eau», c’est par le biais d’une synecdoque qu’en Chine l’on désigne le paysage : c’est la partie pour le tout.
Peindre la Montagne et l’Eau, c’est faire le portrait de l’[être humain], non pas tant son portrait physique […], mais plus encore celui de son esprit : son rythme, sa démarche, ses tourments, ses contradictions, ses frayeurs, la joie paisible ou exubérante, ses désirs secrets, son rêve d’infini. (François Cheng, Vide et plein)
Dans certains tableaux traditionnels, l’eau, sous sa forme la plus mystérieuse : la vapeur, façonne la nature. Les nuées enveloppent les montagnes prenant temporairement leur forme et la montagne entre dans les nuages pour se fondre dans leur brume.
On retrouve cela en Occident à l’époque du Romantisme et, en particulier, chez William Turner, interprète sensible de la poétique du sublime. Ses œuvres traduisent ces instants suspendus où tous les éléments naturels s’interpénètrent et libèrent leurs forces.
Les peintures et les dessins d’Ariane Monod sont traversés par cette même impulsion synergique qui se concrétise dans des choix techniques précis.
L’artiste travaille principalement sur des plaques d’aluminium très fines, ou à même le mur.
L’aluminium est apprêté d’un fond adhérant capable de capturer le fusain et la terre d’ombre liés à l’huile ou à la gomme arabique. Parfois, une couleur rehausse la sobre palette ; son emploi, si rare, est source d’émerveillement. On observe alors ces bleus iridescents, luisants, illuminer les noirs. Insolite, le rouge peut aussi faire son apparition, note incandescente parmi les brumes.
L’application des pigments est modulée pour créer des zones de grande concentration ou, au contraire, de raréfaction. Quand la matière se coagule sur la surface et les détails se démultiplient, nous oublions l’art et avons l’impression d’être au contact direct de la nature. On découvre la trame fascinante de l’écume d’une vague, de la concrétion d’une roche, on imagine la texture d’une nuée.
Dans certaines zones de transition, on voit la matière se raréfier sans pourtant disparaître. L’artiste semble davantage vouloir marquer une pause, tel le silence en musique, ou l’éclaircie après la pluie.
Notre regard vague sur la couche picturale qui s’étend de manière panoramique. Ce format insolite, très allongé, devenu une sorte de signature, est parfois accentué par le recours au polyptyque ; il favorise une découverte progressive de l’œuvre. Nous sommes invité·e·s à parcourir l’espace du regard, à s’attarder, à glisser et à s’infiltrer dans la surface.
À même le mur, Ariane Monod réalise de grands dessins muraux au fusain gras ou sec. Devenus presque condition sine qua non de ses expositions, ils racontent l’ineffable de la nature, l’éphémère d’un rêve, le transitoire d’une impression. L’artiste magnifie ces instants, elle leur donne de l’ampleur les déployant dans l’espace, ne serait-ce que pour une saison. La taille imposante de l’œuvre, la maestria de son exécution et le sujet évoqué, nous amènent dans le registre du sublime : une beauté exaspérée qui captive le regard et en même temps l’éloigne, par excès d’émotions. La présence régulière de larges portions de mur blanc, sans dessin, est une pause inévitable.
Le dessin mural conçu par Ariane Monod pour les cimaises faisant face au jardin de la Fondation Louis Moret sera recouvert, l’hiver venant, d’une couche de peinture blanche mate. Ce rituel d’effacement fait partie intégrante du processus de création, il se situe entre le souvenir de l’œuvre et sa réminiscence. On se souviendra d’un rythme ou d’une cadence, d’une sensation ou encore d’un détail ; l’émotion initiale sera toujours là, mais apaisée : accalmie après l’orage.
L’œuvre, mural et peint, d’Ariane Monod, est rythmé par le vide, tel qu’il est conçu par la pensée esthétique chinoise.
Dans son art, le vide n’est pas quelque chose d’inexistant, mais un élément dynamique, un lieu de transformation et de transition. C’est un instant suspendu comme lorsque l’on savoure l’effroi de l’éclair et du tonnerre en attendant l’éclaircie, ou lorsque l’on observe la venue hypnotique des nuages en pressentant la tempête.
Durant ces moments de flottement, à la fois visuels et émotionnels, le corps frétille et l’esprit s’envole, libéré.
Est-ce aussi le fondement de l’abstraction ? Marquer une suspension dans le réel et atteindre une forme de délivrance ?
Commissariat et texte: Marta Spagnolello, octobre 2025
Site de l’artiste: https://ariane-monod.ch