GRAVURES

Connaître la régularité presque imperturbable d’un rythme de travail, une présence quotidienne à l’atelier, un engagement sans faille peut sembler accessoire au jugé d’une production artistique. Et pourtant, cette dimension est intéressante parce qu’elle signale une position de l’artiste. A la notion d’inspiration, qui semble capricieuse, Jean Nazelle préfère celle d’engagement et de présence. Dès lors, c’est à plat, sur le papier et sans faillir, que se racontent des histoires Sans titre  qui sont le cours des jours, les mouvements des pensées, des riens et des pleins, la couleur effrontée, une poignée d’herbes ramassées, des espaces dissolus ou des architectures du souvenir.

Tout est là de la vraie vie, mais un peu caché, un peu secret. Il y a de la force et de l’affirmation dans certaines aquatintes au sucre inspirées de paysages ou de feuillages, des mouvements naturels dont il ne retient que les ondulations virulentes qui s’opposent parfois à une géométrie rationnelle et régulière qui semble en mesurer l’impact. A l’inverse, lorsque c’est l’architecture de la structure qui rythme l’image, des  taches, floues comme des visions, se glissent dans cet ordre construit.

Dans l’œuvre de Jean Nazelle, le temps est un questionnement sans fin. Le temps qui efface, qui pâlit ou qui obscurcit, se traduit par trois étapes de répétitions sur une même plaque, un peu moins encrées à chaque passage. Le contraste s’estompe, autre chose apparaît, subtil, allégé, ténu. Un flou qui s’installe entre l’image et le regard, c’est encore de la disparition dont il est question avec l’emploi du papier calque. Il fait écran et atténue la force des signes, renvoie au-delà de l’immédiateté, vers le souvenir d’une ville la nuit ou les mouvements de l’eau en ébullition. De ces recherches sur les matériaux de la transparence, jusqu’à présent papier sur papier, naît le désir de se risquer plus loin. Voici de la soie pure, fine, plissée sur la surface de la gravure comme sur une peau, pour y déposer un mouvement infiniment doux.

Et roses, très roses, trois grandes gravures au carborundum qui pourraient former un triptyque, présentées à Accrochage 2006 au Musée cantonal de Beaux-Arts de Lausanne, sont si pleines d’une éclatante affirmation qu’elles semblent aptes à réconcilier les inquiétudes des paysages de la disparition. La vie est bleue, et noire, et verte et rose, les couleurs sont rangées à l’atelier, Jean Nazelle s’y trouve tous les jours, sa vraie vie est toute là, dans la gravure.

Marie-Fabienne Aymon