PLATES-FORMES

Sur la carte de géographie personnelle de Gilles Porret, le Valais occupe une belle part; le Musée d’art à Sion ouvre l’espace de sa collection contemporaine avec la monumentale Palette de couleurs de 1990, une installation efficace qui donne à voir la couleur en passant par les objets qui la contiennent: 220 bidons de peinture. Gilles Porret, dont le travail a été présenté dans différentes galeries de suisse romande et allemande, Kunsthalle et musée genevois, est lui-même très engagé dans la circulation de l’art puisqu’il a conduit plusieurs expériences de lieux d’expositions “différents”. Le dernier en date fut le célèbre Hall-Palermo à Genève, où il a organisé 22 expositions personnelles et collectives d’artistes de la scène contemporaine dont il pensait du bien; l’espace à disposition n’était autre que son propre appartement! L’idée de l’art et de la vie mêlés se retrouvent dans son œuvre qui place l’objet fonctionnel au carrefour de plusieurs lectures.

Détourné de son usage premier, dont il ouvre le champ de significations en jouant avec le langage et qu’il passe au filtre de la couleur, sa lecture du monde. Rouge jaune bleu: 3 primaires, / orange, vert, violet : 3 secondaires, / 2 autres: rose et brun / noir blanc et gris. 11 couleurs, c’est la règle de mesure de Gilles Porret. Le titre ouvert de cette exposition, Plates-Formes propose d’emblée des indices: la plate-forme est une surface plane plus ou moins surélevée, mais aussi la partie ouverte d’un véhicule, un tremplin d’idées, sans compter ce qu’un plasticien ne peut manquer d’entendre comme “forme plate”.

Deux œuvres annoncent la couleur: Bleu de travail, une sérigraphie en noir et blanc dont seul le titre fait référence à la couleur, renvoie au volume du corps autant qu’à l’aplat du cercle. Et trois petites palettes monochromes, rouge jaune bleu, déclinent les trois couleurs primaires d’où dérivent toutes les autres. La palette est un objet particulièrement signifiant pour Gilles Porret qui, en l’utilisant comme support pour sa peinture, joue avec la polysémie du mot. « Palette » désigne à la fois l’objet fonctionnel dans la manutention, la plaque mince dont se sert le peintre pour présenter ses couleurs avant de les appliquer, et finalement, le mot utilisé pour décrire une gamme chromatique.

Une palette est un parallélépipède qui ménage autant de surface que de vide, se fixe au mur comme un tableau ou s’y appuie. Posée dans l’espace, elle se présente alors comme… un chevalet de peintre! Gilles Porret peint des palettes, et c’est une éclosion de cercles variés aux couleurs de sa gamme de onze, ou encore noirs ou blancs. Des palettes aux dimensions standard arborent des pastilles parfaitement rondes et des titres qui éclatent comme des bulles –Bing, Floc– tandis que les palettes spéciales, de formats plus allongés, entrainent les cercles dans de nouvelles proportions en les étirant jusqu’à l’ovale. La forme joue alors la fusion avec son support.

La forme ronde associée à la couleur est neutre, ludique, légère et fait un monde sans angle. Les cercles plats sont devenus les figures géométriques de prédilection de Gilles Porret. Sur le papier, ils prolifèrent et se superposent jusqu’à la tentation de la profondeur. Sur une grande toile laissée brute, ils déambulent calmement en surface en présentant les onze couleurs. Plus loin, une grande composition de pastilles noires sur un fond de coulures de couleurs fait référence à cet état premier de la peinture rendue à elle-même, hors-forme.

Une monographie qui documente le travail de Gilles Porret vient de paraître, accompagnée d’une sérigraphie pour les éditions de tête, Bleu de travail au format 20 x 25 cm, et d’un entretien mené par Bernard Fibicher avec l’artiste. On y voit comment peinture, objets, installations, vidéos et actions de Gilles Porret explorent depuis 30 ans les ressources de la couleur et du langage qui l’exprime, en mesurent les applications, les écarts, la rigueur et la fantaisie.

Mfa