
Vernissage le 31 mai dès 17h
Vincent Fournier. porte du ciel
La prière n’étant que l’attention sous sa forme pure (Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce)
Les axes de symétrie et les lignes de construction d’un dessin académique marquent le début de la création. À l’intérieur de cet espace, au tracé léger, la pensée de l’artiste se déploie et son intuition se structure en interagissant avec la réceptivité du papier.
L’œuvre de Vincent Fournier commence comme ça, de manière presque traditionnelle.
Son art nait à l’interstice entre la pensée et l’instinct, entre le verbe et la chair: avant de s’incarner, il a besoin d’être réfléchi. C’est un processus long, à la temporalité double. La sagacité du premier geste est tempérée par la méditation de son déploiement. Cela peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années, et parfois juste le temps d’un souffle. Lors de ces moments de grâce, proches de l’achèvement de l’œuvre, les gestes du peintre s’alignent de manière fluide et tracent des formes dépouillées à partir d’un coin de papier brûlé, du pli d’une feuille froissée ou encore d’une tache brune, tenace comme la trace d’une ancienne blessure. L’œuvre, terminée, respire et se voue à nouveau à la contemplation.
Le mot espace est crucial dans l’œuvre de Vincent Fournier. Il dérive du latin spatium, lui-même dérivé de patere qui signifie ouvrir: ouvrir, dans le sens d’accueillir.
Comme lorsqu’on ouvre les bras et que l’on accueille l’autre pour lui offrir un refuge amical et affectueux, les traits de crayon qui parcourent les dessins et les peintures de Vincent Fournier tracent des périmètres décrivant des losanges, des carrés, des rectangles ou des triangles qui s’ouvrent à notre regard comme autant d’abris de réconfort et de méditation.
Au travers de ce langage universel et absolument contemporain, né de la synthèse de quelques segments verticaux, obliques ou horizontaux, une vie spirituelle profonde exsude car, depuis vingt-cinq ans, la vie et l’œuvre de Vincent Fournier sont habitées par sa foi chrétienne.
L’horizontalité d’un rectangle couché inspire alors une descente de Croix; la verticalité d’un trait tendu entre le haut et le bas de la feuille évoque une prière au ciel; l’espacement entre deux quadrilatères verticaux laisse entrevoir l’ouverture de la Porte du Ciel; la frontalité d’un losange nous fait rencontrer le regard de la Vierge voilée; la répétition d’un carré rappelle quant à lui le dallage du sol qui fut le lieu de condamnation du Christ …
Toutes ces figures géométriques simples sont à la fois des lieux physiques et conceptuels. Elles sont en même temps des souvenirs d’images intériorisées et des pistes de réflexion, des traces d’une vie intérieure profonde ainsi que des semences légères capables de conduire la pensée plus loin. Beaucoup plus loin.
L’abstraction dans l’œuvre de Vincent Fournier est essentiellement une aspiration à l’insaisissable. Elle est dépouillement.
Dans le langage de l’art contemporain, on dirait que son œuvre est minimaliste, suprématiste, «povera» (art pauvre). Pas seulement gestuelle, pas seulement expressive, mais certainement humaine.
Ses sources sont à la fois écrites (Guigues Le Chartreux, St. François, l’Evangile) et figuratives (les icônes sacrées, le suaire, la géométrie, la contingence : taches, empreintes, marques et indices). Elles sont à la fois anciennes (Piero della Francesca, Raban Maur, Antonello da Messina) et contemporaines (Kasimir Malevitch, Agnès Martin, Dan Van Severen, Antonio Calderara, Robert Ryman, Grégoire Krug, Joseph Marioni ou encore Barnett Newman).
Vincent Fournier rapproche par osmose artistes, moines, géométries, accidents et trouvailles, les faisant cohabiter sur un même terrain d’entente tout en veillant à en conserver, avec subtilité, leurs natures réciproques.
Le peintre Barnett Newman (1905 – 1970, New York) avait choisi le mot « zip » pour désigner les fines bandes de peinture qui traversent ses toiles monochromes car, contrairement à celui de ligne ou de raie à la connotation strictement formelle, il évoquait une action : ouvrir, fermer, unir, joindre… L’artiste américain croyait au contenu spirituel de l’art abstrait.
Dans une démarche essentiellement voisine, les lignes qui traversent les œuvres de Vincent Fournier ont une fonction active. Elles n’affichent pas seulement des rapports de formes et de couleurs, mais communiquent une tension, une aspiration. Ses œuvres concentrent en quelques traits – à partir d’une palette limitée et avec une pauvreté de moyens transcendante – toute l’incarnation qu’elles ont vécue.
Elles témoignent d’une absence en guettant les traces d’un corps ; elles suggèrent une présence en invitant à la prière. Non pas une prière emplie de requêtes, mais une oraison contemplative qui élude les formules, embrasse le silence, et qui est avant tout une forme d’attention absolument pure.
Commissariat et texte : Marta Spagnolello, mai 2025
Vincent Fournier (1961) vit et travaille entre Sion et Saint-Léonard. Il se forme à l’école cantonale d’art de Lausanne. Depuis 2002, son travail est valorisé lors de nombreuses expositions personnelles, principalement en Valais (galerie Grande-Fontaine, galerie Oblique, Fondation Louis Moret) à Genève (galerie Skopia) et à Paris (notamment au Collège des Bernardins). Ses œuvres ont été montrées lors d’expositions collectives à de nombreuses reprises (notamment à la galerie Bob van Orsouw de Zürich, au Musée des beaux-arts de la Chaux-de-Fonds, au Centre artistique et culturel de la Ferme-Asile à Sion, au Musée d’art du Valais, au Château de Loèche, etc.). Actuellement, au Musée d’art de Thurgovie, il est possible de visiter une exposition de l’artiste et d’admirer « l’échelle du paradis », une installation de 185 marches qui sera visible pendant un an dans les vignes jouxtant le musée. On signale également les sculptures installées dans le jardin intérieur de l’église de Martigny Bourg, au cimetière de Bramois, à la Chapelle du collège des Creusets à Sion et, plus récemment, pour l’extension du cimetière de Platta à Sion.