Latifa Echakhch
Geb. 1974 in El Khnansa, Marokko
Born in 1974 in El Khnansa, Morocco

Lebt und arbeitet in Paris, Frankreich, und Martigny, Schweiz
Lives and works in Paris, France, and Martigny, Switzerland.

LA PASSION, EFFIGIES
LA PASSION, EFFIGIES

C’est dans le cadre de la Triennale 2011 d’art contemporain Valais Wallis, qui associe 13 institutions du Bas jusqu’en Haut Valais, que la Fondation Louis Moret présente La Passion, effigies, une exposition de Latifa Echakhch, en réponse au thème: L’art de la Différence.

Même si le travail de Latifa Echakhch interroge fréquemment la notion d’identité, elle se méfie des pièges et des poncifs qui pourraient estampiller sa position artistique. Née au Maroc, elle a grandi en France et sait que les questions liées aux origines, à l’intégration, au multiculturalisme sont suscitées par son visage d’orientale. Elle a quitté le Maroc à l’âge de deux ans et ne s’identifie guère à la culture arabe. Lorsque celle-ci apparait dans son travail, c’est sous forme de bribes de mémoire familiale, d’objets épars, presque des poncifs, la théière, le pain de sucre, un pouf en cuir… Pour exprimer finement cet écart, elle a un jour écrit un monologue avec les quelques mots d’arabe qu’elle connaît et l’a fait traduire en français. Puis a commencé ses conférences ou les présentations de son travail avec ces mots-là, dans ce français devenu maladroit et mal maîtrisé, laissant croire un instant au public qu’elle ne s’en sortirait pas. Une façon de faire entendre que cette posture identitaire ne lui convient pas.

La Différence donc, n’est pas à chercher de ce côté-ci. L’installation nous entraine dans les réminiscences des carnavals et des parades, ces transports collectifs où les figures des géants, excessives et rudimentaires, adaptées à l’échelle d’une foule mais encombrantes en soi, parodient la figure humaine le temps de la fête. Deux géants déshabités se sont échoués ici, transformant l’espace en un dépôt où les figures abandonnées n’ont plus l’heur de plaire. Le vent a tourné et celles qui se dandinaient, pataudes au-dessus des cris et des rires, ne sont plus que dépouilles grotesques, donnant forme à la mélancolie. Latifa Echakhch a fabriqué elle-même ces effigies de carnaval en papier mâché, colle et tissus, en collectant les journaux de l’été (l’image du carton de l’exposition y fait allusion). Dans la mesure du possible elle cultive la dimension manuelle de son travail même si l’assistance de spécialistes qui réalisent la forme matérielle d’un projet est souvent nécessaire. Comme cette année à la Biennale de Venise, où elle a choisi de développer à l’échelle monumentale une pièce, Fantasia, présentée au Musée d’Art Contemporain de Barcelone; une forêt de porte-drapeaux sans drapeaux, des objets puissants puisés dans le mobilier urbain, qu’elle a hérissés devant l’entrée des Giardini. Comme une haie de fusils dressés, ceux des cavaliers des fantasia marocaines, ou comme les lances des cavaliers de La Bataille de San Romano de Paolo Ucello, un tableau-clé dans l’histoire de la perspective à la Renaissance.

Et c’est dans ce type de conjonctions significatives, entre allusions à sa propre histoire, réflexivité, références à l’histoire de l’art et efficacité formelle qu’une pièce, finalement, s’impose. Dans l’entretien publié dans le catalogue de la Triennale 2011, Latifa Echakhch évoque ainsi un certain nombre de travaux récents qui éclairent tous, chacun à sa manière, l’installation de La Passion, effigies. On peut y lire son goût de la nature-morte, des objets, des costumes et des oripeaux, des fanfares fantomatiques, les corps absents et les figures du paysage, la voix inaudible, les discours vains, les escargots comme des vanités.

Aux figures des géants échouées au sol répondent, dans un silence presque respectueux, une série de grandes toiles marouflées de papier carbone blanc. Fait pour dupliquer les mots, le papier carbone ne rend compte ici que des traces muettes des gestes de l’artiste qui ont laissé leurs empreintes. Et c’est le dispositif simple de la répétition des formes blanches qui donne à ses grandes toiles la douceur triste des mots manquants. La fête est finie mais le Ruban rouge de l’inauguration, resté sur place, a fixé le temps des beaux débuts, comme une ultime cruauté. La Passion, évoquée dans le titre de cette installation, est celle des drames musicaux écrits par J.S.Bach et qui, aux oreilles de Latifa Echakhch, résonnent dès les premières mesures comme autant de sombres présages, en marche vers l’inéluctable. Sommes-nous tous des géants abandonnés?

Marie-Fabienne Aymon