L’exposition de Sophie Bouvier Ausländer s’intitule Avalanche ; c’est aussi le le titre de d’un ensemble de peintures de différents formats ; Plastein est une installation de 42 sculptures et Baiser chinois, une petite suite d’aquarelles. De quoi s’agit-il ? Que dit ici le mot « avalanche » qui désigne autant un phénomène météorologique que l’idée plus générale d’un déversement, d’un recouvrement ?
Avalanche est à prendre dans ces deux sens. Car la géographie, et plus précisément la cartographie, est une composante de longue date des questions abordées dans le travail de Sophie Bouvier Ausländer, quoique sous des formes assez variées. Le territoire, la frontière, la représentation du monde, l’usage même de son patronyme qui lui a inspiré de nombreuses œuvres depuis les années 2000 intitulées Ausland, tous ces questionnements passent de près ou de loin par la cartographie.
Quant à la notion de recouvrement induite par le mot « avalanche », elle rejoint de la manière la plus directe le geste lié à la peinture. La peinture, avant d’être ceci ou cela, est le recouvrement d’une surface par de la matière.
Ici, les surfaces sont des cartes routières dépliées de façon à constituer un support dont les plis restent visibles, forment un quadrillage au léger relief, signalant aussi leur nature d’objets utilitaires. Ces cartes sont plus ou moins anciennes, d’échelles diverses, parfois réunies à plusieurs, et elles couvrent des territoires variés, terre, mer, agglomérations dans différentes contrées dont la localisation est ici superflue. Car le propos ne contient pas d’anecdote ni d’histoire personnelle mais interroge plutôt la carte en tant que représentation du monde, ce qui la rapproche de la peinture, alors même qu’elle est faite pour penser un espace en relief. Elle obéit donc à un système codifié en deux dimensions qui renvoie à la réalité d’un monde en trois dimensions.
Or, peindre sur une carte, c’est d’emblée la priver de sa fonctionnalité en masquant les indices qui permettent son déchiffrement. Mais dès lors que Sophie Bouvier Ausländer accomplit cela, elle fait aussitôt le chemin inverse. Comme après une Avalanche qui aurait recouvert ce territoire en en modifiant les repères, elle s’applique à dégager les signes enfouis sous la peinture à travers un protocole de gestes répétés. Des lignes régulières, serrées, systématiques, qui viennent gratter et ôter la peinture. Ces mouvements de dégagement, les écailles de gouache qui sautent sous le poinçon, s’apparentent au quadrillage systématique d’une zone sinistrée. Ainsi se réapproprie-elle symboliquement et pratiquement la surface, sillonnant la croûte et révélant des fragments de la carte dans une forme de reconstruction du monde. Et ce qui redevient visible, par transparence, à travers les fentes ou les éclats, est un réseau sous-jacent qui évoque un système veineux, des structures d’irrigation, des voies de circulation qui renvoient au corps. Les territoires du corps s’apparentent aux territoires du monde, et au-delà des différences d’échelles, se confondent au profit d’un principe commun, un principe de vie. Nous revoilà au carrefour d’une préoccupation récurrente dans la réflexion de Sophie Bouvier Ausländer.
C’est dans un même mouvement de rapprochement des polarités qu’il faut lire Plastein, une installation de sculptures dont le titre évoque autant la plastiline, matière qui intervient dans leur fabrication, que la plasticité de ces volumes ductiles, portant les empreintes des mains de l’artiste qui les a pétris. Ces éboulis répandus au sol dans un mouvement dynamique, comme le contrepoint minéral d’une précédente série de sculptures de nuages, représentent eux aussi une tentative de conciliation, celle du dessin, un aplat, et de la sculpture, en volume.
Recouverte de mine plomb, crayonnée en tous sens, la peau de ces sculptures est dessin. Qui en inverse les lois: ce qui est en creux apparait clair, préservé, tandis que les surfaces saillantes sont plus sombres, offrant ainsi une sorte de vision en négatif.
La Terre, la planète, est pour Sophie Bouvier Ausländer l’archétype de la sculpture. Dès lors, comment se relier à ce monde vu comme une sculpture si ce n’est par le dessin ? Retour sur les polarités, ici le plat et le volume, et le besoin de les relier toutes.
La réconciliation, c’est le Baiser chinois qui en illustre avec légèreté l’exercice. C’est Sophie exilée dans sa résidence artistique en Chine qui fait se rencontrer deux gouttes d’aquarelle dans une même flaque d’eau !
Marie-Fabienne Aymon
Le travail de Sophie Bouvier Ausländer a fait l’objet d’une exposition personnelle au Musée de Pully en 2014, elle expose actuellement dans une collective à la galerie Heinzer Reszler à Lausanne. L’excellente galerie Patrick Heide à Londres lui consacrera prochainement une exposition, après l’avoir présentée au salon du dessin Drawing now ce printemps à Paris, ville où elle exposait à la galerie Sobering au début de l’hiver 2016. Elle a fait une résidence d’artiste en Chine en novembre dernier et vient d’inaugurer une très belle intervention dans l’art public au Gymnase de Renens. Elle termine actuellement un doctorat (Phd) en sculpture à Londres. Avalanche est la troisième exposition de Sophie Bouvier Ausländer à la Fondation Louis Moret.