Partir avec les murs

Photographies: Gilbert Vogt

Collaborations avec Djamel Agagnia, Adel Bentousi, Albane Durand-Viel, Julien Magre, Silvana Mc Nulty, Hichem Merouche, Thierry Rose, Clara Shulmann, Sofiane Zouggar

Partir avec les murs

Alexandra Roussopoulos vient de quitter l’atelier qu’elle a occupé pendant trente ans. Elle ne part pas seule, mais emporte avec elle toutes sortes de traces, imaginaires et matérielles. Ces traces sont des œuvres, elles en ont la puissance et la délicatesse, la gravité et la légèreté

Il y a d’abord les moulages des murs de l’atelier, en plâtre et en résine. Chaque pierre moulée est unique et devient l’élément d’un langage qui noue le passé et le futur. On retrouve dans la matérialité du plâtre la force de ce qui permet la création tandis que la légèreté de l’empreinte même, réalisée en caoutchouc, exhale un étonnant parfum d’éternité. Ensuite viennent des images, celles des derniers moments passés dans l’atelier, une édition de cinq cartes postales réalisée avec Albane Durand-Viel. Puis des textes écrits par Clara Schulmann sur lesquels l’artiste est intervenue, y re-dessinant les traces fugaces de la mémoire du lieu. Enfin, on découvre les plans de la maison Villa Seurat transformés avec Silvana Mc Nulty en bijoux de fil de laiton martelé qui sont comme la base de ce qui dure toujours : l’idée devenue matière.

Ce départ est aussi l’occasion de re-commencer. Les photographies de Julien Magre, retravaillées par l’artiste donnent à voir un vide qui se remplit d’un geste, bouleversant d’un coup le paysage et sa réalité. L’oeuvre « Veste femme taille 40 » co-élaborée avec Thierry Rose, je la vois comme le vêtement abandonné d’un fantôme bienveillant qui veille sur une création nomade qui, ces dernières années, s’est déployée dans le cadre de résidences, en Espagne, en Chine, en Algérie.

Les voyages ont permis une liberté nouvelle que l’on retrouve dans des photographies où l’artiste capture le vent qui emporte le papier de riz, un de ses matériaux privilégiés depuis plusieurs années, où le ciel s’impose comme un contrepoint indispensable à la pesanteur. Le ciel est immense aussi dans ce film réalisé par Hichem Merouche lors d’une résidence à Alger. Il rend caduque la notion d’horizon et épouse, dans un travail avec Djamel Agagnia, des blocs de béton qui ont pris la dimension d’une main.

Car c’est aussi la notion d’échelle qu’interroge l’artiste, le vertige de la re-dimensionnalité. Il y a, nous l’avons dit, ces blocs de béton du port d’Alger, les plans redessinés et déformés mais aussi ces sculptures qui reprennent une performance filmée avec Adel Bentounsi. Elles sont désormais posées comme des trophées, réminiscences voilées du mouvement, délicates virgules ponctuant l’espace. Et l’intervention qu’Alexandra Roussopoulos a réalisée sur les photographies de Sofiane Zouggar nous fait plonger dans un vertige temporel, nous faisant re-parcourir dans un trait imperceptible l’itinéraire d’un militant algérien des années 1950.

Tout se métamorphose donc grâce à la puissance du geste, à la liberté interrogée, aux murs que l’on emporte et qu’on redessine, non comme des ruines, non comme une nostalgie, mais comme une fondation nouvelle qui mêle intimement le souvenir et l’imagination, l’art et l’existence.

Matthieu Gounelle