Jean Nazelle, 1929
Vit et travaille à Lausanne.

1/1
ALEAS, GRAVURES
VENTCOULIS... PAPIERS
GRAVURES
Gravures
1/1

Jean Nazelle (1929) est de retour avec cette exposition qui donne des nouvelles de ce qui se passe dans l’intimité de son atelier. Il poursuit son travail à son rythme et opte définitivement pour le tirage 1/1 – le titre de notre exposition – qui rend paradoxale la gravure, multiple par définition. Ces feuilles sont toutes des pièces uniques car, même si la plaque, en général de plexiglass, peut être réencrée plusieurs fois, c’est pour créer une image à chaque fois différente. Progressivement pâlie peut-être, dans une déclinaison d’intensité qu’il affectionne depuis longtemps – c’est le thème de la disparition, de l’effacement progressif – ou au contraire réhaussée de collages inédits. Ou ni l’un ni l’autre, juste des images qui surgissent de ces antichambres dont il garde la clé.

Car Jean Nazelle, très disert sur les processus de son travail, l’est beaucoup moins sur les références qui préexistent à ces gravures. Ce sont toutes des choses vues. Chez lui et autour de lui, dans la vraie vie, dans la mémoire, dans le passé, dans la rêverie. Jean Nazelle a fait le tour du monde dans son atelier et certaines de ses gravures portent ici encore des notations qu’il faudrait effacer : Sud, Orient, Revenants, Lésions etc.. Ce ne sont pas les titres, juste des repères pour ses propres listes, qu’il évite depuis toujours de commenter publiquement.
En réduisant le discours sur ses gravures à des questions formelles – composition, mouvement, espace, structure – il manifeste clairement deux choses : d’abord que faire des gravures, produire, travailler et manipuler le visible pour créer un autre visible en deux dimensions est ce qui donne du sens à ses jours, et d’autre part que sa vie intérieure, si elle est la source de tout ce qui devient visible, n’en est pas moins privée.

Aux amateurs, il offre cet œuvre si difficile à résumer tant il est multiple, polymorphe, presque contradictoire. Des petites suites monochromes griffées en tous sens d’un geste régulier jusqu’à devenir des surfaces de velours, ou les notations économes de ce qui rappelle les contours d’un paysage, ou encore les découpes, les collages et les lacérations de gravures recyclées et permutées dans un processus sans fin. Et la rigueur du noir, du gris et du blanc qui se mesure aussi bien aux nuées turquoises de grandes feuilles atmosphériques..
Voici donc ici réunies, dans leur désarmante et authentique nécessité d’exister, des gravures 1/1 qui tracent le visible et ce qui ne se dit pas.

Marie-Fabienne Aymon

ALEAS, GRAVURES

On le savait, Jean Nazelle est graveur et uniquement graveur. Sa presse trône à l’atelier et il tire lui-même ses gravures, ce qui n’est pas une évidence. Beaucoup d’artistes qui pratiquent la gravure, pour elle-même ou en contrepoint d’un travail de peinture ou d’installations, font exécuter leurs projets par un praticien dans un atelier spécialisé. Un artiste qui ne fait que de la gravure, qui conçoit à la fois le projet, l’image et en exécute la réalisation manifeste une forme d’engagement vis-à-vis d’une technique séculaire qui traverse le temps et perdure dans l’art contemporain, malgré sa composante « artisanale » à l’ère numérique.

On sait que la gravure est par nature une technique de multiplication de l’image puisque son inscription première se fait sur une plaque, en général de cuivre, parfois de laiton ou de plexiglass. Que les enduits, les acides, leurs morsures et bien d’autres alchimies d’initiés sont ses matériaux. Que son apparition sur le papier, dernière étape de cette secrète préparation, procède d’un geste, le passage sous presse de la plaque finalement encrée, qui peut être répété plusieurs fois. Il y a donc des gravures annotées d’un chiffre de tirage qui va de centaines d’exemplaires pour les tirages commerciaux aux nombres plus confidentiels de 25, 10, 5 pour les artistes qui la pratique en délicatesse.

Il se trouve que Jean Nazelle, depuis quelques temps, pratique la gravure comme un peintre. Une gravure, un tirage unique : 1/1 ! Ce n’est pas une coquetterie, c’est juste une urgence. Elle n’est pas nouvelle, on le savait déjà grand travailleur, mais c’est la solution pour une liste de projets si longue qu’il n’est plus de mise de multiplier les tirages tant les images abondent, surgissent et se collisionnent pour naître en premier.

Elles sont Sans titre, cela depuis toujours, car nul n’est besoin de savoir quand, comment, pourquoi apparaissent ces traces rythmées, ces grilles et ces trames, ces paysages cachés, ces flots de couleur, ces silences soudains, ces fleurs d’encre, ces presque rien qui murmurent l’oubli. Sans titre, ne rien dire de plus que ce qu’on donne à voir, et pourtant, là est le réel, la vie-l’amour-la mort, la vraie vie, ses Aléas

Et comment présenter une production si pleine d’humanité, si peu soucieuse de discours, tellement sincère et si secrète ? En oubliant d’être didactique, en faisant fi du propos même de l’artiste qui s’explique ; oui bien sûr, les métamorphoses de l’image, les successions d’encrages sur une même plaque, les étapes, les combinaisons et permutations… On l’a déjà dit et écrit, c’est ainsi que naissent ces séries dont les motifs se métamorphosent, pâlissent ou au contraire se saturent en s’incorporant les uns les autres. C’est ainsi dans l’ordre des listes épinglées à l’atelier et l’on pourrait accrocher les gravures en vue de cette démonstration.

On peut aussi tenter des classifications au sein de la profusion des genres, ce foisonnement caractéristique du travail acharné de Jean Nazelle. Et regrouper ensemble des images signifiantes, leurs mouvements, leur nature, celles qui écrasent la couleur en une seule tache informelle ou au contraire l’étirent en traces baroques. Rassembler les trames, les empreintes, isoler les florales, les végétales, dégager les géométriques, mettre ensemble les gravures complices que Sophie Hurlimann a brodé de fils de couleur dans le sillage des lignes d’encre de son père.

On pourrait faire parler son goût de la couleur, les roses de sang, les noirs terribles, la douceur des verts, les turquoises précieux, les gammes de gris, les bleus de cristal, et voir comment la couleur charrie les roulis des grandes frayeurs ou calme le jeu dans la transparence.

Cette exposition, Aléas, nous entraîne au-delà de ces catégories. On les devine, on les perçoit mais on a envie aussi de les confronter, de faire coexister l’extrême attention aux frémissements d’une surface d’encre pâle avec certains tumultes orageux ou presque opaques. Et introduire le doute : où est Jean Nazelle, comment nommer et définir ces contradictions assumées ?
Faut-il vraiment le faire ou seulement admirer la force d’un artiste qui sait et dit que la fragilité est humaine?

Marie-Fabienne Aymon

VENTCOULIS... PAPIERS

Mireille Gros, qui vit et travaille à Bâle et à Paris, présentait en 2005 La vie en guymauves, une exposition organique et botanique au titre inspiré par le jardin. Il y avait là sa fantaisie, sa détermination et sa liberté poétique ouverte sur le monde. Mireille Gros  aime les sonorités des mots et apprend le chinois; elle voulait appeler sa suite de dessins Les montagnes appartiennent à ceux qui les aiment plutôt qu’à un lieu géographique.. Elle a laissé un cartable plein de dessins à l’encre inspirés des découpes des horizons montagneux, libres.

Mireille Henry, vit et travaille à Choindez (Jura), commune industrieuse à flanc de gorge. En 2007, elle présentait  des peintures qui semblaient venir de loin, recouvrant autant que désignant les objets, avant de les laisser partir. Des images colorées puis assourdies, comme les mystérieuses résurrections de visions rescapées et pacifiques.

Jean Nazelle est graveur. Il croit au réel et le transforme, le féconde de son imaginaire alerte, de ses secrets aussi. Il affiche des listes de projets et réalise tout ce qui le traverse, indifférent aux étiquettes. Pourtant, comme un thème au-delà des thèmes, transformation et disparition hantent son œuvre. Des séries s’articulent autour de l’addition et de la soustraction, des combinaisons et  permutations, parfois jusqu’au confins du lisible.

Anne Peverelli vit à Lausanne et a exposé en 2002 et 2006 des peintures sur toile et sur papiers. Son geste est simple comme une évidence qui ravit, la synthèse sans fioriture de la sensibilité et du pragmatisme. La flaque que produit un pinceau qui goutte, des coulures qui s’organisent en réseau, les traces de gestes de peinture… ou comment la réalité fait signe.

GRAVURES

Connaître la régularité presque imperturbable d’un rythme de travail, une présence quotidienne à l’atelier, un engagement sans faille peut sembler accessoire au jugé d’une production artistique. Et pourtant, cette dimension est intéressante parce qu’elle signale une position de l’artiste. A la notion d’inspiration, qui semble capricieuse, Jean Nazelle préfère celle d’engagement et de présence. Dès lors, c’est à plat, sur le papier et sans faillir, que se racontent des histoires Sans titre  qui sont le cours des jours, les mouvements des pensées, des riens et des pleins, la couleur effrontée, une poignée d’herbes ramassées, des espaces dissolus ou des architectures du souvenir.

Tout est là de la vraie vie, mais un peu caché, un peu secret. Il y a de la force et de l’affirmation dans certaines aquatintes au sucre inspirées de paysages ou de feuillages, des mouvements naturels dont il ne retient que les ondulations virulentes qui s’opposent parfois à une géométrie rationnelle et régulière qui semble en mesurer l’impact. A l’inverse, lorsque c’est l’architecture de la structure qui rythme l’image, des  taches, floues comme des visions, se glissent dans cet ordre construit.

Dans l’œuvre de Jean Nazelle, le temps est un questionnement sans fin. Le temps qui efface, qui pâlit ou qui obscurcit, se traduit par trois étapes de répétitions sur une même plaque, un peu moins encrées à chaque passage. Le contraste s’estompe, autre chose apparaît, subtil, allégé, ténu. Un flou qui s’installe entre l’image et le regard, c’est encore de la disparition dont il est question avec l’emploi du papier calque. Il fait écran et atténue la force des signes, renvoie au-delà de l’immédiateté, vers le souvenir d’une ville la nuit ou les mouvements de l’eau en ébullition. De ces recherches sur les matériaux de la transparence, jusqu’à présent papier sur papier, naît le désir de se risquer plus loin. Voici de la soie pure, fine, plissée sur la surface de la gravure comme sur une peau, pour y déposer un mouvement infiniment doux.

Et roses, très roses, trois grandes gravures au carborundum qui pourraient former un triptyque, présentées à Accrochage 2006 au Musée cantonal de Beaux-Arts de Lausanne, sont si pleines d’une éclatante affirmation qu’elles semblent aptes à réconcilier les inquiétudes des paysages de la disparition. La vie est bleue, et noire, et verte et rose, les couleurs sont rangées à l’atelier, Jean Nazelle s’y trouve tous les jours, sa vraie vie est toute là, dans la gravure.

Marie-Fabienne Aymon