Anne Peverelli, 1963
Vit et travaille à Lausanne.

Quand fond la neige, où va le blanc?
AILLEURS
VENTCOULIS... PAPIERS
TRAVAUX RÉCENTS
PEINTURE, DESSIN
Quand fond la neige, où va le blanc?

Avant d’être le titre de cette quatrième exposition d’Anne Peverelli à la Fondation Louis Moret, Quand fond la neige, où va le blanc? est celui d’une réflexion sous la forme d’une thesis rédigée récemment dans le contexte d’un master en Art in public sphere, dans laquelle elle entreprend non pas d’écrire sur sa pratique, mais de pratiquer, à travers le langage, l’équivalent de ce qu’elle expérimente à l’atelier en peinture. C’est la petite phrase, attribuée à Shakespeare, qui en a donné l’impulsion. Cette exposition coïncide avec l’agenda de cette thesis et, si elle n’en fait pas officiellement partie, en est le versant somme toute indissociable, puisque Anne Peverelli est avant tout peintre.

Quand fond la neige, où va le blanc ? Il y a là deux mots entre lesquels la question se balance. La neige, substance du silence, magicienne du recouvrement qui, autant qu’elle cache, rend et se rend visible. La neige, belle métaphore de la peinture. Et le blanc, la non-couleur qui les contient toutes, radieuses, la non-image de l’absence, de l’effacement comme du commencement, le rien heureux.

Pour sa thesis qui éclaire sa pratique de peintre puisqu’elle procède de même à l’atelier, Anne Peverelli collecte ses sources, qui toutes font référence à la neige, parmi des citations littéraires, des bulletins météo, beaucoup de notations retrouvées dans 20 ans de carnets d’atelier (où l’on voit que le temps qu’il fait importe car il transforme le paysage, et donc le visible, et donc l’esprit) ainsi que diverses réponses à la question posée autour d’elle de savoir Quand fond la neige, où va le blanc ? – .

Ce corpus sera traité comme un accrochage: on associe, on met en tension, on relève des contrastes ou on induit des complicités, c’est la quête d’un sens inédit qui se révèle à la lumière de certains rapprochements, c’est l’individualité de l’image au contact du collectif dont elle est issue. Et c’est ce qu’on voit ici. En même temps chacune de ces peintures existe en soi, détachée, seule. Extraite de la masse de ce qui a précédé et a été écarté mais qui fait dans l’atelier un terreau fertile duquel naîtront d’autres images. Dont il ne restera encore que le meilleur à force d’être trié, sans concession à l’esthétisme ou à la séduction, à la poursuite du vrai.

Dans ce travail largement fondé sur le réalisme – entendez la confiance, le respect qu’ Anne Peverelli porte à la seule matérialité de la peinture, à sa capacité à couler de haut en bas, à recouvrir, à distribuer, à strier l’espace, à l’entrebâiller – il y a le rapport équitable de l’artiste qui, renonçant à la préséance de l’idée, délègue sa création à la compétence des matériaux conjugués à ses propres gestes, à leur expérience, et ne se réserve au final que la capacité à évaluer la qualité de cette conjonction. La nature et l’architecture dans leurs expressions sans limite ont formé son jugement. Le silence de l’atelier, la poésie, l’observation et l’écriture créent les conditions.

Des très grands formats – une peinture au bâton à l’huile pour un monolithe puissant et sensible – aux papiers les plus délicats, des réseaux de peinture blanche sur fond sombre, ou pas, des parcours, des grilles, des bulles, jamais plus de deux couleurs, coulés ou grattés, un espace non-figuratif, ambigu tant il ouvre de lectures pour qui veut y voir des villes, des paysages, des routes, des avalanches, la pluie, des larmes, le vent.. La neige. Mais surtout un langage.
Quand le sujet se dérobe à la vue, il reste la peinture. C’est peut-être là que va le blanc quand fond la neige..

Marie-Fabienne Aymon

AILLEURS

Après celles de 2002 et 2006, la nouvelle exposition d’Anne Peverelli porte pour la première fois un titre, Ailleurs. Un mot trop ouvert pour être précis; Ailleurs, c’est là où je ne suis pas, c’est un autre lieu où j’irai peut-être, l’écart entre ici et là-bas… Quel est donc cet Ailleurs qui fait mine d’esquisser d’autres espaces ?

On sait que la peinture d’Anne Peverelli fuit toute idée de représentation ou de narration, qu’elle s’appuie sur des faits réels, des histoires de gestes de peintre à partir des fondamentaux « point, ligne, surface ». Et qu’elle délègue à ses matériaux- acrylique, huile, laque, gouache, aquarelle, crayon, carbone, craie grasse – toute latitude expressive propre à leur nature. Ainsi chaque chose est à sa place et joue son rôle. Par exemple, ce qui est liquide coule, le ruissellement de l’eau sur la vitre et celui de la peinture sur la toile participent de la même loi physique. On est bien dans le concret, et cela même sans sujet.

Et pour tracer des lignes, il y a beaucoup de moyens; ajouter de la couleur au pinceau mais aussi l’ôter en grattant, ou frotter pour dessiner avec le carbone, ou l’omettre avec des réserves de réseaux de scotch. On pourrait énoncer toutes les combinaisons et leurs coefficients afin de prendre la mesure des possibles, quel est le sens de tout cela ? Rien de grave mais l’essentiel. Habiter la forme qui se fait sans vous mais à travers vous, s’effacer devant la force de la répétition et saisir ses moments de grâce, maîtriser l’accident, parfois à la limite de l’ingratitude. C’est une peinture qui se constitue dans un rapport pragmatique au réel et qui débouche sur une infinie poésie, une vraie présence, une mystérieuse adéquation. On admire la maturité visuelle d’Anne Peverelli qui impose sans crainte la puissance des gestes fragiles, les allées et venues du haut vers le bas, de l’est à l’ouest. Un rapport à l’espace, à l’architecture, au construit et à la destruction, aussi. Les grilles, les réseaux, les trames et les profils, les passerelles, les passages…

Et les Trajets… Le film qui passe ici en boucle documente l’intervention artistique réalisée en 2010 par Anne Peverelli au nouveau Collège du Léman à Renens. Elle consiste en deux fresques murales élaborées à partir des relevés des trajets effectués par tous les utilisateurs des lieux – élèves, professeurs, employés, direction – . Tous ces dessins fondus ensemble et mis à l’échelle constituent un « gribouillis » parfaitement réaliste ; le motif désigne concrètement les traces superposées de tous les déplacements. Mais, lorsque un motif trop évocateur surgit à l’improviste dans un travail qui réfute toute intention narrative, lorsque ce qui devait être peinture pure semble vouloir raconter… un paysage urbain par exemple ou le clair-obscur traditionnel… c’est là peut-être qu’Anne Peverelli parle de se déplacer Ailleurs… Sans le chercher mais en acceptant d’y aller voir, de renouveler l’angle de vue, de penser à entamer un voyage de retour vers l’idée de sujet. Anne Peverelli est sans doute sur le point d’aller voir ailleurs si elle y est…

Marie-Fabienne Aymon

VENTCOULIS... PAPIERS

Mireille Gros, qui vit et travaille à Bâle et à Paris, présentait en 2005 La vie en guymauves, une exposition organique et botanique au titre inspiré par le jardin. Il y avait là sa fantaisie, sa détermination et sa liberté poétique ouverte sur le monde. Mireille Gros  aime les sonorités des mots et apprend le chinois; elle voulait appeler sa suite de dessins Les montagnes appartiennent à ceux qui les aiment plutôt qu’à un lieu géographique.. Elle a laissé un cartable plein de dessins à l’encre inspirés des découpes des horizons montagneux, libres.

Mireille Henry, vit et travaille à Choindez (Jura), commune industrieuse à flanc de gorge. En 2007, elle présentait  des peintures qui semblaient venir de loin, recouvrant autant que désignant les objets, avant de les laisser partir. Des images colorées puis assourdies, comme les mystérieuses résurrections de visions rescapées et pacifiques.

Jean Nazelle est graveur. Il croit au réel et le transforme, le féconde de son imaginaire alerte, de ses secrets aussi. Il affiche des listes de projets et réalise tout ce qui le traverse, indifférent aux étiquettes. Pourtant, comme un thème au-delà des thèmes, transformation et disparition hantent son œuvre. Des séries s’articulent autour de l’addition et de la soustraction, des combinaisons et  permutations, parfois jusqu’au confins du lisible.

Anne Peverelli vit à Lausanne et a exposé en 2002 et 2006 des peintures sur toile et sur papiers. Son geste est simple comme une évidence qui ravit, la synthèse sans fioriture de la sensibilité et du pragmatisme. La flaque que produit un pinceau qui goutte, des coulures qui s’organisent en réseau, les traces de gestes de peinture… ou comment la réalité fait signe.

TRAVAUX RÉCENTS

Quatre ans  se sont écoulés depuis la première exposition d’Anne Peverelli à la Fondation Louis Moret en 2002. Cette année encore elle est présente à Accrochage au Musée des Beaux-Arts de Lausannne et on a pu voir récemment ses toiles à l’exposition de la Fondation Irène Reymond à l’Espace Arlaud. Elle a auparavant montré des monotypes au Cabinet des Estampes du FAC à Sierre, a participé à d’importantes expositions autour du dessin au Kunstmuseum de Bern et à Saint-Gall et présenté une exposition personnelle à la galerie Confer à Nyon.

L’exposition d’Anne Peverelli est constituée d’une trentaine de peintures et presque autant de dessins et s’intitule sobrement Travaux récents. Pour dire la continuité du travail dans le temps,  sans rupture, comme une ligne cousue au point-arrière, une couture solide qui repique toujours un peu avant le dernier point pour s’élancer au-delà. L’image n’est pas innocente puisqu’il y a quelques années le fil, sur ou autour de la toile, constituait pour elle un moyen d’aborder la peinture en contournant le medium,  en élargissant le propos. Le fil a disparu mais il reste un travail de peintre qui s’articule autour de trois données importantes: les conditions posées par les matériaux, les gestes qui en tiennent compte, et un vocabulaire plastique qui regroupe certains motifs: la grille, la prolifération, l’écoulement, la diffusion.

Anne Peverelli porte une attention particulière aux supports et expérimente différents textiles qu’elle tend sur châssis – toile de Bretagne, toile de Toulouse, feutrine à poils ras et molleton accueillant – choisis pour leurs textures et leurs réactions spécifiques aux différents modes d’application de la peinture sur leurs surfaces. De même pour les dessins réalisés sur des papiers de toutes sortes et des cartons variés, tous récupérés et porteurs d’une histoire. Sa curiosité se manifeste à l’égard de tous les types de peintures: aquarelle, acrylique, laque brillante, peinture synthétique, peinture à l’huile. Autrement dit eau, essence et huile. Combinées aux différents supports – aquarelle sur molleton, acrylique sur toile imprimée – ces composants induisent des formes qui leur sont propres.
Les tensions qui se créent entre des formats très divers, du plus petit au plus monumental, associés par opposition ou par affinités, enrichit encore le jeu combinatoire. A ce catalogue de matériaux s’ajoute celui des gestes du peintre: tracer au pinceau, peindre en réserve avec des caches, égoutter la peinture, la faire couler, la faire boire, la brosser, l’éponger. La pousser, la repousser, la guider. Et agir en une seule séquence, sans presque aucun repentir possible.

Cette énumération des composantes physiques de l’œuvre s’inscrit dans une démarche de concertation de l’artiste avec les moyens et les outils de l’art, les soumettant à un questionnement insistant. Ces données convergent dans un univers de références visuelles. A l’atelier, quelques photographies découpées et épinglées au mur font écho aux toiles et aux dessins; une grille d’échafaudage, des entrelacs de canalisations sauvages dans une arrière-cour, une flaque brillante sur le bitume, une avalanche qui crée le vide dans la masse sombre d’une forêt… toutes images croisées dont Anne Peverelli ne retient que l’ambiguïté de la vision, entre deux et trois dimensions. Esquisse d’espaces, distorsion de la géométrie, réseau linéaire, tache diffuse en surplomb, coulures figées ou rampantes, autant de variations sur la disposition physique de la peinture à coïncider avec le réel. Sur fonds monochromes et dans des gammes retenues de gris-vert, gris-rouge, brun rosé, prune, blanc, couleur de toile ou de molleton. Les dessins sur papier d’Anne Peverelli sont aussi significatifs que sa peinture sur toile. Sans désir de séduire, ils posent un geste nu sur un support fragile et, avec une belle simplicité, offrent le calme et l’intensité de signes faits d’expérience et de hasard conjugués.

Marie-Fabienne Aymon

PEINTURE, DESSIN

En prise directe avec l’instant de leur apparition, les traces que laisse Anne Peverelli sur ses toiles et sur d’innombrables petits dessins tentent de déjouer avec légèreté et obstination les pratiques traditionnelles de la peinture.

Si tout dans le parcours d’Anne Peverelli indique son goût pour la peinture, il est tempéré par une forme de résistance issue d’une attitude critique à l’égard de toute représentation. Cette réserve l’a conduite, ces dernières années, à intégrer divers matériaux susceptibles de faire signe autrement. Ainsi a-t-elle crée des tableaux sans peinture où un fil cousu, dessinant un va-et-vient, tenait lieu de graphite. En travaillant ainsi, Anne Peverelli se situe paradoxalement dans la peinture, mais lorsqu’elle peint, elle évite le geste direct et contourne la relation pinceau-peinture. La matière est alors versée, coulée, égouttée, parfois essuyée d’un seul revers; elle fait tache ou impression, toujours à distance de la main qui la guide. Ailleurs, des toiles monochromes préparées au pinceau large révèlent une grille laissée en réserve, apparaissant comme un motif non peint.

A cette relation complexe aux gestes du peintre répond une pratique légère, abondante et spontanée du dessin. Ici, les supports sont des cartons gris, des papiers modestes, des blocs tout-venant dont la familiarité encourage toutes les tentatives. On y trouve des séries de dessins libres d’intention ou de narration, ouverts à des vocabulaires variés. A la gouache et au pinceau, à l’encre, aux crayons noirs ou en couleur, le tracé toujours recommencé se constitue en motif (quadrillage, tache, point), se répète et se réinvente. Dans cette activité, le geste prime sur le regard qui intervient plus tard; les critères de choix sont alors déterminés par l’intuition d’un geste juste à un moment sensible; la grâce sans grimace d’une trace réelle, vivante, qui ne dit que ce qu’elle est, entièrement à l’écoute du monde proche et de quelques instants.

Marie-Fabienne Aymon